Le monde s’apprête à vivre une nouvelle élection présidentielle américaine, et à en subir les conséquences pour les années à venir. Est-il possible de quantifier les effets de cet événement singulier sur les marchés financiers ? Quels seront les différents champs des possibles économiques présentés par les programmes des deux candidats de cette campagne 2024 sans précédent ? Enfin, est-il possible de prédire les résultats d’une élection en utilisant des indicateurs financiers ?
Réactions historiques des marchés à l’heure des élections
L’élection présidentielle Outre-Atlantique n’est pas seulement un événement déterminant sur le plan politique américain et international : elle a des impacts tangibles et significatifs sur les marchés boursiers à travers le monde. Historiquement, les États-Unis sont engagés dans un cycle de performance qui se reproduit de façon quasi systématique depuis 1833 : les rendements financiers sont plus substantiels pendant l’année précédant l’élection et l’année du vote, tandis que l’année suivant l'élection et celle de mi-mandat sont accompagnées d’incertitudes et d’imprévisibilité.
En effet, les graphiques de performance du S&P 500 (indice boursier basé sur 500 grandes sociétés cotées en bourse aux États-Unis) nous révèlent à la fois que le rendement total moyen des actions américaines grimpe à 12% lors d’une année électorale, que le président en place soit reconduit ou non, puis que les marchés touchent leur point le plus bas deux ans après le vote, quel que soit le parti du candidat élu, comme nous le montre ce graphique.
Données datant du 25 octobre 2024, source : Trading View
Mais comment expliquer ce phénomène ? D’une part, une des éventuelles pistes pouvant l’éclairer seraient l’identité politique et le programme économique du candidat élu, étant donné qu’un changement de couleur politique à la Maison-Blanche entraîne une inflexion du marché dans la grande majorité des cas. À travers l’histoire des premières années à la présidence, le palmarès des Républicains à Wall Street est légèrement au-dessus des Démocrates (15,3 % contre 8,5 % de rendement total moyen). Une meilleure performance des Démocrates est enregistrée lorsqu’ils se succèdent (15 %) par rapport à un scénario où un Républicain prendrait leur place (13 %). Quant à la valorisation du dollar, une étude de l’Imperial College Business School a décelé que sur les 40 dernières années, le billet vert s’est apprécié en moyenne de 4.15% par an durant les présidences démocrates, contre une dépréciation de 1.25% pour les républicains Ces chiffres montrent ainsi une différence de résultats et de comportement des marchés sous des bannières politiques différentes, même si les fluctuations sont relativement minces et que le bilan moyen en année d’élection demeure amplement positif quel que soit le parti.
D’autre part, les marchés ne sont ni rouges (Républicains) ni bleus (Démocrates) (“markets aren’t red or blue” en anglais), et les évolutions apolitiques du S&P500 nous le suggèrent. Les hauts et les bas des marchés dépendent davantage d’événements conjoncturels inopinés, plutôt qu’à la couleur politique du président américain. L’exemple le plus parlant étant la guerre entre la Russie et l’Ukraine, qui provoqua une hausse inédite de l’inflation et un marché baissier sur l’année de mi-mandat de Joe Biden en 2022.
Les obligations, de leur côté, et en particulier des bons du Trésor américain considérés en général comme des valeurs refuges, ont plus de probabilité de connaître une demande croissante en période agitée, en l’occurrence pendant une campagne présidentielle, et perdre en valeur plus la date des élections s'éloignent. Toutefois, ce scénario peut être tout autre en fonction des décisions budgétaires prises par le ou la futur.e chef.fe du gouvernement américain. Pour cela, il faut se plonger sur les programmes des deux candidats, pour voir quelles seraient leurs conséquences divergentes sur l’économie globale.
Donald Trump : protectionnisme financier, taxes abaissées
Le parti républicain est friand de baisses d’impôts et de déréglementation, et Donald Trump en raffole particulièrement. Au pouvoir, le milliardaire de New York essayerait de faire pression sur la Fed (“Federal Reserve”, Réserve fédérale américaine) pour maintenir les taux d’intérêts au plus bas afin de stimuler la croissance des entreprises. Additionnellement, il promet une baisse de 6,5 trilliards de dollars de taxes pour les individus et les sociétés, avec une préférence pour les secteurs traditionnels que sont le pétrole, la défense et les banques.
Afin de financer ces exemptions fiscales, Donald Trump compte sur le commerce international, et une posture “America First” agressive incarnée par une hausse intensive des droits de douanes. En 2024, le candidat républicain a même évoqué des chiffres encore jamais vus : plus de 60 % de tarifs sur les importations chinoises, ainsi qu’un tarif universel de 10 % sur tous les imports. Cette stratégie protectionniste pourrait renforcer la valeur du dollar de par l’augmentation de la croissance rendue possible par un coût moins élevé pour produire à domicile et une taxation accrue sur les biens et services venant de l’étranger.
Cependant, ce tour de force douanier pourrait aussi bien réduire les emplois, en particulier dans les industries en aval, comme ce fut le cas en 2019 selon un rapport de la Fed. En effet, les sociétés Outre-Atlantique vendant des biens produits à l’aide de marchandises surtaxées à l’importation doivent augmenter leur prix de vente en conséquence afin de maintenir leur profitabilité, alors que les entreprises vendant ces biens depuis l’étranger sont exemptées de ce handicap tarifaire, et gagnent ainsi un avantage comparatif sur les firmes américaines qui se voient souvent obligées de faire des économies budgétaires en licenciant une partie de leurs salariés. Ainsi, le protectionnisme Trumpiste, s’il a la possibilité de booster les performances des marchés financiers sur le court-terme, pourrait faire planer la menace des pressions inflationnistes, puisque les barrières tarifaires feraient gonfler les prix des biens et services.
Kamala Harris : libre-échange facilité, État mobilisé
Kamala Harris se base sur le programme initié par Joe Biden, ainsi que sur l’héritage Démocrate sur les marchés, consistant en l’augmentation des dépenses publiques pour stimuler la croissance et la hausse des impôts des entreprises et des revenus les plus élevés.
La politique budgétaire de Kamala Harris serait probablement plus progressiste et modérée, misant sur un contrôle strict de l’inflation et de l’argent public mis à disposition pour petites et moyennes entreprises afin de garantir le plein emploi. Ces ambitions étant alignées sur la double vocation (contrôle de la hausse des prix et du marché du travail) de la Fed, elles devraient avoir un effet stabilisateur sur les rendements des obligations, rassurant les marchés et les rendant moins volatiles. À cela s’ajoute une approche du commerce international plus coopérative, - malgré le maintien de tarifs assez élevés - réduisant les risques de crises géopolitiques et régulant les chaînes d’approvisionnement à l’échelle globale, aidant les multinationales dans le libre-échange et dépréciant possiblement la valorisation du dollar.
Pour augmenter le capital de l’État et réduire la dette, Kamala Harris opterait d’un côté pour une taxation plus forte des entreprises, en particulier pour les industries financières et fossiles, qui donnerait ainsi de la monnaie au change à d’autres secteurs pour tirer leur épingle du jeu, tels que les énergies renouvelables et les soins de santé. D’un autre côté, ce seront les individus gagnant plus de 400 000 dollars par an qui pourraient voir leurs impôts grimper. La stratégie de la candidate freinerait donc la hausse des prix, mais présenterait le risque de faire enfler la dette.
L’état des marchés donnerait un indice sur l’heureux(se) élu(e) ?
“It’s the economy, stupid !”
La boutade que James “Jim” Carville, directeur de campagne de Bill Clinton, a lancé lorsqu'on lui a demandé ce qui déterminerait l’issue de l’élection présidentielle de 1992, “C’est l’économie, idiot !” est une phrase qui s’est depuis imposée comme révélatrice de l’élément déterminant lors du vote pour le prochain leader des États-Unis : l’économie pèserait plus que tout autre indicateur. Le contexte financier permettrait-il donc toujours de prédire les résultats de l’élection américaine ?
Les statistiques nous répondent par l’affirmative. Si l’on se fie à la bourse, il se trouve que le président en place a conservé le pouvoir dans 85 % des cas lorsque le S&P 500 enregistre une hausse entre le 31 juillet et le 31 octobre d’un cycle électoral américain (11 années sur 13 depuis 1936). Au contraire, une performance négative de Wall Street sur cette période symbolique des trois mois précédant le vote provoque au contraire un basculement de couleur de la Maison-Blanche dans 89 % des cas (8 années sur 9). Avec une augmentation de l’indice de 5533 à 5808 entre juillet et octobre 2024, les marchés boursiers auraient donc tablé sur une victoire des démocrates pour l’élection. Seulement, les marchés ne sont pas infaillibles, et la situation n’est pas si simple.
Remarques finales
Le vote pour le président, ou la présidente des États-Unis d'Amérique, constitue ainsi une incidence non-négligeable pour les marchés financiers. À tel point qu'il fut un temps où Wall Street fermait le jour de l’élection. Il est évident que la politique sculpte les directions économiques, étant donné que le vote donne une idée aux marchés des priorités budgétaires, réglementations fiscales, politiques monétaires, secteurs d’investissements, valeur du dollar et commerce international pour le futur. L’état de l’économie américaine et mondiale au moment du vote aurait également un impact sur les résultats, et le contexte financier aura forcément à voir avec le nom à placer dans l’urne.
En revanche, les changements de priorités des électeurs et la métamorphose des discours nous révèlent qu’il est tout aussi important de ne pas surestimer l’effet économique d’une élection, aussi cruciale qu’elle soit. À partir de 1980, les marchés rouvrirent pour les “election days”, et n’ont jamais clôt depuis. L’économie est une machine qui fonctionne de manière indépendante, actionnée par des leviers bien plus complexes et dépendant de circonstances bien plus transnationales qu’un vote, même si celui-ci prend place dans la nation la plus influente de la planète.
Les analyses et les opinions mentionnées dans le présent document représentent le point de vue de(des) l’auteur(s) référencé(s). Elles sont émises à la date indiquée, sont susceptibles de changer et ne sauraient être interprétées comme possédant une quelconque valeur contractuelle.
Sources
The Financial Times, Banque Transatlantique, IG, The Wall Street Journal, Franklin Templeton Institute, Policy Center for the New South, Imperial College Business School, The Wall Street Journal, The New York Times, L’Echo, U.S. Department of Commerce, Pew Research Center, The Telegraph, Federal Reserve Board